Nous vous invitons à lire l’article rédigé par Emma FABIUS, étudiante CPGE A/L 1ère année, autour d’un travail mené sur le thème Mémoire et Histoire avec son enseignant d’histoire, M. DELATRE.
Thomas-Robert Bugeaud, duc d’Isly mais surtout Maréchal de France, est une figure historique largement représentée sur le territoire français. Son nom est devenu celui de plusieurs rues dans le pays, ses statues sont érigées de façon glorieuse en des places visibles de tous. C’est le cas notamment à Périgueux où la statue de l’homme vient rappeler son histoire et celle qui lui est associée, celle de la France elle-même. Or, le Maréchal Bugeaud est une figure très controversée. Désigné comme étant d’un côté « un grand homme de guerre » ayant par exemple participé aux guerres d’Espagne et d’Algérie, il est également dépeint comme étant un « homme condamnable ». Il est par exemple « l’homme du Massacre de la rue Transnonain ».
La présence de statues et de représentations nombreuses d’un homme ayant commis des actes d’une violence extrême et étant associé et jugé responsable d’actes inhumains, rapprochés aujourd’hui de crime contre l’humanité, pose questions. Ainsi, en réaction à cette controverse concernant ce personnage, plusieurs dispositions ont été prises.
Les actions d’artistes sont un moyen de faire connaître la face souvent cachée du visage de Bugeaud. L’art permet en effet de dénoncer.
En passant devant la statue, les différentes personnes ne sont plus simplement amenées à contempler la statue glorifiante d’un homme mais à se questionner sur ses actions. C’est un moyen non seulement d’être éclairé sur le sujet mais aussi de porter un regard critique sur des personnages historiques tels que Bugeaud. De plus, chaque individu a l’opportunité de tirer symboliquement sur la corde, cela devient en quelques sortes une action plus commune et non pas seulement un acte commis par une personne ou un groupe de personnes qui seraient venus vandaliser ce bien public. Le but des actions telles que celle de l’ajout d’une corde autour du cou du maréchal est de garder la trace, la mémoire des événements associés au personnage. Détruire la statue reviendrait à simplement oublier, enfouir des événements tragiques. Ainsi, c’est un travail de mémoire que de laisser la statue controversée en y ajoutant un symbole puissant. Ce travail de mémoire est essentiel selon moi, car oublier les erreurs du passé c’est être enclin à reproduire ces mêmes erreurs dans le futur. L’action des artistes me paraît donc être une bonne façon de répondre aux problèmes posés par elle. En effet, cette action s’avère être également pacifique. Ne pas détruire la statue permet d’éviter des conflits avec des personnes qui seraient contre le déboulonnage de la statue.
Une autre disposition prise est celle de l’installation d’un rappel historique auprès de la statue du maréchal. Il s’agit cette fois-ci d’une décision de la municipalité de Périgueux. Bien moins symbolique, cette action permet néanmoins d’informer tout passant de « la totalité » de l’histoire du personnage de Bugeaud.
L’intention de la municipalité par cette action est évoquée clairement par la maire de la ville, Delphine Labails, qui affirme que “en tant qu’élus de la République, notre rôle n’est pas de réécrire l’histoire. Nous savons que notre histoire collective comporte des parts sombres, nous ne pouvons pas les effacer, nous ne voulons pas les effacer.” Plutôt que d’effacer des morceaux de l’histoire, il faut en dévoiler les faces cachées. Instruire par les plaques est également une action qui peut être qualifiée d’efficace.
En effet, “la pédagogie mémorielle”, comme elle est appelée, est un moyen de faire connaître une histoire commune. Si les noms ou représentations de figures telles que celle de Bugeaud peuvent s’avérer récurrents sur le territoire français, leurs histoires ne sont souvent pas ou alors partiellement connues.
À Périgueux, nombreux sont les habitants qui connaissent la statue et sa place éponyme mais un grand nombre d’entre eux, même originaires de la ville, ignorent beaucoup de Bugeaud. Or, l’ambivalence du personnage doit être exposée. Glorifier un personnage en tant que héros uniquement, c’est oublier que derrière chaque figure héroïque se trouve une part d’ombre. Ainsi, la décision de la ville d’exposer à la fois les aspects à priori positifs et négatifs de la vie de Bugeaud montre une avancée de la mémoire et de l’histoire française qui cherche à se dévoiler. Les plaques installées ne sont bénéfiques qu’en dévoilant au maximum la vérité.
Source : https://www.sudouest.fr/societe/plutot-que-deboulonner-la-statue-de-bugeaud-homme-condamnable-perigueux-y-ajoute-un-rappel-historique-16530850.php
En Guadeloupe également, île au passé colonial, certaines figures controversées et représentées entraînent des actions de la part de la population ou des municipalités. On peut citer par exemple le personnage de Victor Schoelcher, homme politique ayant décrété l’abolition de l’esclavage aux Antilles le 27 avril 1848. Un buste de Schoelcher installé sur la place du Cours Nolivos, au centre-ville de Basse-Terre, chef-lieu de la Guadeloupe, a été découpé puis enlevé en juillet 2020. Quelques semaines avant ce déboulonnage, la statue avait déjà été vandalisée, recouverte de peinture rouge. Si le personnage de Victor Schoelcher a été l’objet de la controverse et de la polémique au point de voir ses statues vandalisées, c’est parce que la place qui lui est accordée dans l’histoire française et dans l’espace public efface, selon les militants et une bonne partie de la population, le mérite des esclaves qui ont lutté pour leur propre liberté. En Martinique, suite au déboulonnage de ses statues, les militants ont d’ailleurs écrit «Schoelcher n’est pas notre sauveur ». De plus, malgré les actions militantes de Schoelcher et la rédaction du décret de l’abolition de l’esclavage, il a également été le président de la commission de l’abolition qui entraîne la politique d’indemnisation des maîtres esclavagistes. Il représente alors l’injustice de la réparation de plusieurs siècles d’esclavage. Les militants souhaitent honorer la mémoire des anonymes qui ont lutté pour devenir libres et redonner de la valeur aux actes oubliés. Cependant, les actions réalisées sont souvent sources de conflits et sanctionnées. Le travail mémoriel n’est pas effectué et les relations ne sont pas pacifiées.
Sources : « La Fondation pour la mémoire de l’esclavage » ; Guadeloupe la première, « Mais où est passé le buste de Victor Schoelcher ? La statue a été déboulonnée dans la nuit », 24 juillet 2020 ; Le Figaro, « Outre-mer : plusieurs statues déboulonnées », 26 juillet 2020 ; France Bleu, « Périgueux : la mairie ne va pas déboulonner la statue controversée du maréchal Bugeaud », 6 septembre 2023 ; le cours d’histoire.
En terme de toponymie également, les territoires tels que la Guadeloupe ont un grand nombre de villes, de rues ou établissements aux noms de figures controversées. La commune de Gourbeyre par exemple porte le nom d’un ancien gouverneur de la Guadeloupe, Jean-Baptiste-Marie-Augustin Gourbeyre. La toponymie peut poser problème car, par elle, la Guadeloupe reste marquée par son histoire coloniale difficile. Nommer une rue ou ville au nom d’un personnage, c’est lui rendre hommage voire le glorifier. Glorifier des personnages de l’époque coloniale est problématique pour un peuple ayant hérité des blessures coloniales. Pour y remédier, par exemple, certaines rues changent de nom et prennent celui de figures locales.
Ainsi, concernant la statue du Maréchal Bugeaud, les deux actions mises en place sont bénéfiques chacune à leur manière. Le travail de mémoire prime dans les deux cas. Ces deux types d’actions, celles des artistes et celles des municipalités, peuvent même être réalisées ensembles afin d’associer leurs avantages respectifs, symbolique et historique. Les personnages controversés tels que Bugeaud ont existé tout au long de l’histoire, en France et dans le reste du monde. Partout sur le territoire, un travail de mémoire est nécessaire afin de répondre aux conflits qui existent autour de ces personnages et de leurs représentations. Bien que des tensions existent encore, la pédagogie mémorielle peut, selon moi, permettre de pacifier les relations. Les actions comme celles de Périgueux doivent être privilégiées et le déboulonnage évité.
Fabius Emma, CPGE AL 1ère année