L’écrivaine Gisèle Pineau, marraine de la CPGE AL1

Le mercredi 9 février, dans le cadre du marrainage de la Classe Préparatoire aux Grandes Écoles littéraires (CPGE A/L 1) promotion 2021/2023, les élèves d’hypokhâgne et de khâgne du lycée Gerville-Réache ont eu l’honneur d’accueillir Madame Gisèle Pineau.

Première écrivaine féminine à obtenir le prix Carbet de la Caraïbe, nommée chevalier des Arts et des Lettres en 2006 et bien d’autres, cette grande femme de lettre guadeloupéenne, vraie figure du monde littéraire antillais est une source d’inspiration pour nombre de passionnés d’écriture et de récits sur la condition
sociale. Bien que solitaire, l’écriture est pour elle une activité avec une jubilation dans le processus de création. Elle lui permet aussi de partir à la rencontre de son public. Des rencontres qui donnent du sens à son travail tout comme le fait de toucher des lecteurs inconnus.

Parmi ses ouvrages les plus reconnus, on peut citer Un papillon dans la cité, son premier roman, publié en 1992. Aujourd’hui cet ouvrage est encore étudié et utilisé notamment dans les universités américaines pour étudier le français .
« Les livres voyagent, ils passent de main en main, ils voyagent »


Au programme de l’événement, les élèves ont lu un extrait de Cent vies et des poussières ainsi qu’une autre lecture mais d’une lettre aperçue dans la couleur de l’agonie et par la suite fut présenté un discours de remerciement au nom de la classe pour son engagement en tant que marraine de la promotion 2021/2023. Au cours des deux heures de rencontre, la classe fut invitée à poser des questions.


Lecture d’un extrait de Cent vies et des poussières, par Edith VARIN

Nous savons que vos œuvres ont vraiment traversé les générations, selon vous quelle est l’œuvre qui a le plus impacté les lecteurs ?
Gisèle Pineau – La littérature jeunesse n’était pas un projet pour moi. Je n’ai d’ailleurs pas eu accès à ce type de littérature. Je voulais plutôt écrire un roman dans lequel on retrouve la Guadeloupe avec sa culture, ses paysages, sa langue, dans le but que le lecteur s’identifie au personnage. Bien que les livres nous permettent de voyager, il me semble important de savoir qu’il existe une littérature dans laquelle on peut s’identifier. Mon projet était d’écrire de grands romans. La grande drive des esprits par exemple , grand succès édité en 1992 a reçu le prix des lectrices du magazine ELLE en 1993 ainsi que le prix Carbet de la Caraïbe. Ce fut mon premier grand roman publié et c’est ainsi que je suis entrée dans la littérature d’un seul coup avec ces deux grands prix littéraires. Ce grand prix national et cet autre prix décerné par un jury d’enseignants caribéens présidé par Édouard Glissant. Ce fut une reconnaissance pour moi.


 

Présentation du discours de remerciements de la classe réalisée par Alexandra MÉLON

Vous évoquez souvent le thème de l’exil , mais cela a-t-il un rapport avec le Bumidom ?
C’est bien antérieur au phénomène du Bumidom. C’est lié à la grande histoire de France et à l’époque de la dissidence de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de guadeloupéens ont embarqué sur des canots de pêcheurs pour atteindre l’île de la Dominique, de Ste Lucie et à partir de là ont embarqué dans des navires pour être formés au maniement des armes aux États
Unis. Il faut savoir qu’ à l’époque nous étions sous le gouverneur Sorin qui avait mis en place des patrouilles. Il y avait aussi beaucoup de répression, de couvre feu et des jeunes de 17/19 ans risquaient leur vie pour rejoindre l’île voisine. Mon père a répondu à l’appel du général De Gaulle et était fasciné par ce « général micro ». A l’issue de cette guerre, il a décidé de faire carrière dans l’armée française . Il va épouser ma mère, une petite dame de la campagne rêvant de Paris à travers des magazines servant d’emballages pour les bananes. Mes parents vont donc vivre à Paris et voilà comment des petits guadeloupéens vont naître à Paris. C’est la grande histoire qui vient changer les petites histoires.

Cependant ce monde fut très compliqué et j’ai dû subir beaucoup de racisme. Comment ne pas devenir schizophrène quand on se retrouve dans une famille où il y a un adorateur de la France et du général de Gaulle, une adoratrice de Paris et que de plus, dès que vous mettez le pied dehors on vous dit de rentrer chez vous en Afrique. Quand on quitte un territoire qu’est ce que l’on prend avec soi? Ce sont des questions qui m’obsèdent.


Avez-vous déjà pensé à des romans à deux voix ?
Je crois que je ne pourrais pas écrire un livre à quatre mains. J’ai écrit un seul livre en collaboration avec Marie Abraham qui s’appelait Femmes des Antilles . C’est un essai dans lequel j’ai fait le tour des femmes, du temps de l’esclavage à nos jours, mais cela n’a rien à voir avec le roman.
Vous savez, écrire c’est un terrain de jeu, on fait ce que l’on veut. Je ne me censure pas, j’écris ce que j’ai envie d’écrire. Quand j’écris j’ai envie d’être dans une authenticité et non dans le politiquement correct. Il faut que ça soit beau dans la forme mais aussi qu’il y ait du fond et du sens. Je veux allier les deux. Offrir aux lecteurs un voyage qui lui permette de sortir de sa routine. On crée son propre langage. Alors non, je ne peux pas écrire avec quelqu’un.


Signature de la convention par Mme Gisèle Pineau et M. José Victorin, Proviseur.

Comment avez-vous réussi à apporter autant de détails dans l’écriture de scènes comme le viol dans La couleur de l’agonie ?
Moi j’aime les challenges. Quand on est écrivaine, ce qui paraît inaccessible existe en réalité. Et c’est ce qui rend l’activité belle. Le sujet m’est venu instantanément car c’est un thème qui m’interpelle et qui me donne envie d’en parler. Cela arrive tous les jours que des jeunes filles se fassent violer. J’aime aller le plus loin possible. Je voulais que mes lecteurs et mes lectrices puissent entrer dans la peau de ces victimes. Que le lecteur puisse même sentir physiquement les choses, même si elles sont violentes. Il y a une façon de faire mais surtout avec honnêteté.

Quel roman d’un autre auteur vous a donné envie d’écrire ?
La grande Toni Morrison . C’est un modèle pour de nombreux auteurs. Vous savez, on a l’impression que chez certaines chanteuses, le son sort tout près de la gorge, et pour d’autres, il sort des tripes, du ventre. Pour moi , Toni Morrison c’est ça. Je dirais alors son roman Jazz. C’est une autrice que je recommande. Son écriture est peut-être exigeante mais elle en vaut la peine.

Article rédigé par Morane CAPRON, CPGE AL1
Crédits photos : Noor ARCHIMÈDE et Morane CAPRON

Tournage d’un reportage pour le JT de La 1ère TV