Jeudi 9 décembre, à l’invitation de leur professeur d’histoire, M. Gilles Delâtre, les étudiants en première année de Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles littéraires (CPGE A/L 1) du lycée Gerville-Réache ont eu l’honneur d’accueillir M. Raymond Boutin pour la présentation de son roman Et la vie gagne (Ibis Rouge, 2021). Docteur en histoire, membre de la société d’histoire de la Guadeloupe et professeur agrégé d’histoire-géographie à la retraite, M. Boutin a enseigné au lycée Gerville-Réache de 1986 à 2006. Auteur de plusieurs ouvrages d’histoire de la Guadeloupe, il n’a eu de cesse de s’intéresser à la vie des gens et à ce qu’ils nous transmettent. « L’historien doit tenir la main du lecteur et l’emmener tâter la paillasse du paysan », rappelle-t-il, citant le grand historien Georges Duby.
Cependant, le dernier livre de Raymond Boutin, Et la vie gagne est un roman. Fort de sa connaissance des archives, l’auteur a posé, pour son histoire un contexte très historique, celui de l’épidémie de choléra qui a frappé la Guadeloupe en 1865. Un sujet qu’il a abordé dans ses recherches et pour lequel, précise-t-il, les sources sont abondantes : thèses de médecins, rapports officiels, etc. Marqué par l’ampleur et la brutalité de cet événement, voilà des années qu’il a le projet d’écrire non plus l’histoire mais une histoire, à ce propos. Dans sa phase de préparation (il insiste sur le long temps d’élaboration), l’auteur a lu ou relu Les Contes de Boccace, La Peste d’Albert Camus ou encore L’amour aux temps du choléra de Gabriel García Márquez.
L’action du roman se déroule dans une famille de mulâtres bourgeois de Pointe-à-Pitre qui fuit le choléra en allant à Basse-Terre. Cette famille arrive dans une ville qu’elle croyait épargnée mais cela n’est malheureusement pas le cas. L’auteur y décrit la naissance, la progression et les conséquences du choléra sur la vie sociale, administrative et sur les comportements.
« Cette société était peut-être plus pauvre, plus démunie, plus ignorante plus malade mais elle était plus solidaire et donc plus heureuse. Aujourd’hui, on se ferme des portes et on se pose des questions de plus en plus complexes », explique Raymond Boutin.
Au terme d’un exposé d’une quarantaine de minutes, la classe est invitée à poser des questions.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser cet ouvrage ?
Beaucoup de temps. Lorsque l’on termine son ouvrage, on est heureux alors on le laisse de côté, mais par la suite, on revient dessus et on n’en est finalement pas satisfait. J’ai parfois jusqu’à dix reproductions du même travail. Je relie le texte comme s’il n ‘était pas le mien, comme un professeur corrigeant les thèses de ses élèves et cela peut durer longtemps. Il faut toujours revenir sur son travail mais il faut se prémunir de ce que j’appelle le syndrome d’Orson Welles, c’est-à-dire qu’il faut savoir s’arrêter . Je dirais que c’est la raison pour laquelle l’écriture est un plaisir mais aussi une souffrance.
Vous décrivez cette famille qui, comme d’autres Pointois, quittent la Grande-Terre par voie maritime et, pense trouver le bon air à Basse-Terre puis à St-Claude, mais y a-t-il eu des migrations de ce genre vers les îles du sud où vers d’autres îles de la Caraïbe, La Dominique, Montserrat ?
On n’en a pas trouvé pour la bonne raison qu’à cette époque dès qu’il y avait une alerte épidémique sur une des îles, les autres îles se fermaient. Les gens ont envisagé cela mais ils savaient qu’ils devraient au mieux se soumettre à une quarantaine. Il y eut tout de même un certain soutien des îles voisines, comme des médecins venant de Martinique. Cela dit l’impact du choléra n’a pas été le même sur tout le territoire guadeloupéen. A St Claude, par exemple, il y a eu peu de morts.
Dans votre livre vous étudiez les conséquences de l’épidémie du choléra sur la société guadeloupéenne, avez-vous comparé les conséquences du choléra en 1865 avec celles, aujourd’hui du covid-19 ?
Non, j’ai eu cette idée, mais je n’ai pas chercher à le faire. Quand j’ai commencé mes travaux le covid n’existait pas. Il s’écoule du temp entre l’écriture et la publication. Mais il y a tout de même des similitudes entre ces deux épidémies. Notamment, la controverse sur le mal, c’est à dire qu’on ne l’a pas tout de suite identifié. Pour beaucoup de personnes ce n’était qu’une grippe. De plus, on ne connaissait pas encore la maladie. Autre similitude à souligner : les soins, à l’époque on tentait tout type de choses pour guérir, les comportements par rapport à la foi aussi étaient similaires. Les gens considèrent les épidémies comme une punition de Dieu. La restriction de la vie sociale aussi était comparable, on n’avait pas le temps d’organiser des veillés.
Pourquoi, selon vous, l’épidémie du choléra a-t-elle été oubliée des mémoires guadeloupéennes ?
Je pense qu’il y a une chose dont on vous a déjà parlé, c’est la résilience. Les gens qui ont vécu quelque chose de dramatique n’en parle pas souvent, ils tournent la page. Ce n’est pas un souvenir heureux. A notre époque, on fait le contraire, on ferme la porte à la résilience. Nous sommes paralysés par ça. Personne n’a le droit de nous dire de ne pas en parler. Il ne faut pas oublier mais vivre avec.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer des ouvrages historiques, aux nouvelles et aux romans ?
Je m’interroge beaucoup sur le rôle de l’historien et de son utilité, mais quand je regarde le comportement des gens, je me dis qu’aujourd’hui nous sommes dans une phase de confusion entre passé, mémoire et histoire. Les gens confondent tout. Je suis effaré de voir que les gens sont partis dans des folies de destruction de monuments. Je ne dis pas qu’il ne faut pas changer ce qui nous dérange mais il faut bien les choisir. On dit: « rayi chien di dan ay blan » on peut ne pas aimer le chien mais il faut tout de même avouer que ses dents sont blanches. Dans le cas de Victor Schœlcher par exemple, nous ne pouvons pas oublier qu’il a donné un coup de main important pour l’abolition de l’esclavage. C’est lui qui a convaincu le gouvernement provisoire (IIème République) qu’il ne fallait pas attendre les élections pour libérer les esclaves.
Avez-vous quelques mots à nous adresser, nous les étudiants ?
Tout ce que je peux vous dire c’est comme dans toutes choses… Voyez-vous, Zidane ou Mbappé, nous sommes tous impressionnés par ce qu’ils font sur le terrain, pareil pour un guitariste sur la scène. Le talent c’est bien, mais la chose la plus importante c’est le travail. Et même quand on doit passer un concours, il faut acheter de la super glue pour en mettre sur sa chaise car, quel que soit le sujet ce n’est pas à toi de te condamner à l’avance ; le devoir que tu réalises, il a une personne pour le corriger. Prenez exemple sur les grands, portez de l’intérêt à l’avis de l’éditeur car il vaut mieux être critiqué d’abord par lui que par les lecteurs.
Article rédigé par Morane CAPRON et Daëna MANICOR